L’HISTOIRE OUBLIEE DU CHÂTEAU DE THIOLLAZ

Le 21 janvier 2016, j’ai participé à une balade culturelle sur le site de Chaumont et il m’a été permis de visiter la petite chapelle de Saint-Jean, hameau situé en contrebas de Chaumont.


Extrait de la carte de Borgonio de 1772

(photo source Gallica BNF.fr)


Cette chapelle est déjà mentionnée sur la carte de Borgonio en 1772. Il semblerait toutefois qu’elle ait été une simple annexe de la paroisse (source Histoire des Communes savoyardes, tome 3, éditions Horwath).

La chapelle

(Photos MT Buda 21 janvier 2016)

Vue de la chapelle depuis les hauteurs de Chaumont

(Photo Louis Buda 28 juillet 2016)

Selon les informations contenues dans ce petit descriptif à l’intérieur des lieux, cette chapelle aurait été construite au début du deuxième millénaire et il est fait mention de cet édifice dans une sentence rendue en 1190. De nombreuses dégradations eurent lieu en 1794 lors de la révolution française. Le bâtiment fut vendu aux enchères le 3 avril 1795 et acquis par Claude-François Bastian, notaire à Frangy. La chapelle fut ensuite restaurée entre 1819 et 1822 sur ordre de l’abbé De Thiollaz.


Dessin tiré de la revue Savoisienne, juillet 1929

(source Gallica BNF.fr)

La chapelle vers 1915

(Photo source delcampe.net)

La chapelle vers 1924

(Photo source delcampe.net)

J’ai été intriguée d’apprendre que cette chapelle ait abrité le modeste tombeau des ancêtres de la famille de Thiollaz.

Texte extrait de l’ouvrage de 1907 Histoire de Mgr C.-F. de Thiollaz par Nestor Albert

(source BNF gallica.fr)


Qui dit chapelle pense inévitablement proximité d’un château. Il existe bel et bien un château qui se veut être très discret et qui s’observe depuis la route départementale en hiver lorsque les arbres sont dénudés.

(Photo Louis Buda 24 janvier 2018)

En juillet 2016, pour le découvrir j’ai bien tenté de prendre de la hauteur mais, peine perdue, impossible de le dénicher. Je me suis donc résolue à réaliser des recherches afin de trouver son emplacement exact sur une carte. J’étais prête à abandonner lorsque, par le plus grand des hasards, je découvre dans un ouvrage écrit en 1907 par Nestor Albert (Histoire de Monseigneur de Thiollaz, tome 1) cette belle description du château qui n’a fait qu’attiser ma curiosité.

Extrait de la page 18 de l’ouvrage de Nestor Albert Histoire de Monseigneur C.F. de Thiollaz, tome 1

(source BNF.fr)


Et quand j’aperçois enfin une photo de l’édifice publiée dans cet ouvrage, je sais déjà que je vais poursuivre mes investigations.

Photo en page 336T de l’ouvrage de Nestor Albert Histoire de Monseigneur C.F. de Thiollaz, tome 1 de 1907

(source gallica.bnf.fr)


Extraits du plan cadastral du 22 avril 1907

Chapelle parcelles 1100 et 1101, château parcelles 1095 et 1096

(source Archives Départementales de la Haute-Savoie, côte 3P 3/3382)


(photo source delcampe.net)

L’histoire de ce château est intimement liée à la famille de Thiollaz. Elle débute probablement le 7 avril 1308 lorsque Laurent de Thiollaz (fils de Richard) recevait d’Agnès de Chalons, comtesse de Genève qui a épousé Amédée II en 1285, la charte du fief héréditaire de Chaumont. Amédée II est mort le 22 mai 1308 et son testament est daté du 24 septembre 1306.

Ainsi fut fondé le fief ou la seigneurie de Thiollaz.

Document daté du 29 mai 1308

Source Fondation des archives de l’Abbaye de Saint Maurice

Douaire est un terme de droit ancien désignant la portion de biens que le mari réserve à son épouse dans le cas où celle-ci lui survivrait

Texte extrait de la Revue Savoisienne du 25 décembre 1865 page 53

(source books.google.fr)


A partir de 1500, par de judicieuses alliances, la famille de Thiollaz prospère dans la petite noblesse. Sous le règne de Charles-Emmanuel 1er, Duc de Savoie (du 30 août 1580 au 26 juillet 1630), une guerre s’engage contre Genève.


Charles Emmanuel 1er, Duc de Savoie

Source wikipédia.fr


En octobre 1590, les troupes Bernoises et Genevoises incendient Frangy, le château de Thiollaz ainsi que la chapelle de St-Jean. Les membres de la famille de Thiollaz étaient alors munitionnaires du fort de Sainte-Catherine (forteresse de Viry), charge attribuée par le Duc de Savoie.



Extrait de la page 25 de l’ouvrage de Nestor Albert Histoire de Monseigneur C.F. de Thiollaz, tome 1 (source BNF.fr)

(source BNF.fr)


Les vestiges du fort de Sainte Catherine mentionnés sur une carte du Duché de Savoie de 1631

(source Conseil Général de la Savoie côte AD73-1 Fi S8)

La forteresse de Sainte-Catherine a été construite à partir du mois d’avril 1589 par le Duc Charles-Emmanuel de Savoie dans le hameau de Songy sur l’actuelle commune de Viry. Près de 8000 hommes seront affectés à la construction de cette redoutable forteresse proche de Genève. Le fort de Sainte-Catherine s’approvisionnera dans toutes les paroisses qui relèvent de son autorité. Parmi ces paroisses on trouvera Chaumont par des achats de blé et de pain. D’ailleurs le châtelain de Chaumont, Gaspard de Thiollaz, était propriétaire depuis le 22 juin 1572 de plusieurs moulins et d’une boulangerie (source Echos saléviens n° 8 édité en 1999, page 36).


Dessin du fort Sainte Catherine

(photos source La Salévienne n° 8 page 31 BNFGallica.fr)


Le fort sera démantelé à partir du 7 janvier 1601 sur l’ordre d’Henri IV alors allié des Genevois.

Le 16 janvier 1601, une troupe nombreuse de soldats genevois accompagnée par un syndic se présente au fort pour recevoir les canons savoyards. Il avait été en effet prévu la livraison à Genève d’un demi-canon (de taille moyenne) en bon état aux « armes et calibre de Savoie » ainsi que 3 bastardes moyennes. Je pense qu’il s’agit de coulevrines bastardes (actuellement couleuvrine bâtarde) qui se distinguent par le calibre de leurs boulets de 100 mm).


Le château de la famille de Thiollaz incendié en 1590 sera reconstruit.


Le château en 1956

(photo extraite de l’ouvrage de C. Regat, Châteaux de Haute-Savoie, éd. Cabédita)


Le 1er février 1594, Jean-Louis de Thiollaz et son neveu Boniface (fils de Gaspard mort en 1592) obtiennent une lettre de confirmation d’anoblissement par le Duc Charles-Emmanuel 1er sans doute pour leur aide durant les graves conflits qui éclatèrent avec Genève à partir de 1589.



(photo source delcampe.fr)

Suite à cette défaite, le traité de Saint-Julien sera signé le 21 juillet 1603 entre Charles-Emmanuel 1er de Savoie et Genève. Ce traité garantit notamment aux Genevois la liberté de commerce et la liberté de circulation dans tous les états de Savoie, tant pour les personnes que pour les marchandises (source Wikipédia).


Traité de Saint-Julien du 21 juillet 1603

(source Archives Etat de Genève ge.ch)

Mais les épidémies de peste qui vont toucher la région à partir de 1615 et notamment en 1630 vont affecter la prospérité de cette famille comme tant d’autres. Néanmoins après ces périodes difficiles, elle va continuer à renforcer sa puissance en tenant toujours la charge de châtelain à Chaumont. Les châtelains sont, à l’origine, des seigneurs détenteurs de château ou d’une maison forte. Ils sont des administrateurs féodaux territoriaux (source Wikipédia).


Saint-Jean-de-Thiollaz a été rattaché à Chaumont dès 1783.


Les membres de la famille de Thiollaz se sont orientés vers des carrières d’ecclésiastiques (notamment Monseigneur Jean-Pierre Biord  1719-1785 - Claude-François de Thiollaz, évêque d’Annecy 1752-1832) et militaires (François de Thiollaz 1696-1774 – Joseph de Thiollaz 1816-1890). Cette famille existe toujours depuis 700 ans.


Les armoiries de la famille de Thiollaz portent « de gueules à l'aigle naissante d'argent becquée de sable et à 2 étoiles d'or au canton du chef ». Sa devise est «Post Mortem Lauda » soit les louanges après la mort (source Wikipédia).


(photo source Wikipédia)

Dessin tiré de l’ouvrage de 1620 La Fortification démontrée de Jean Errard de Bar le Duc

(source book.google.fr)

Il est ici rappelé que pour prendre la ville de Genève, le Duc Charles Emmanuel 1er voulait faire escalader le mur d’enceinte par ses soldats dans la nuit au 11 au 12 décembre 1602. Ce fut un échec et depuis lors, chaque année, la Fête de l’Escalade à Genève commémore toujours cette victoire dans la pure tradition. La coutume veut que les enfants se déguisent et défilent dans les rues ; cette célébration donne également lieu à toutes sortes de manifestations populaires (courses, cortèges, etc.).


Photos MT Buda 25 janvier 2018