LA LEGENDE DU CHÂTEAU DE SALLENOVE

  

La première particularité du château de Sallenove réside dans le fait qu’il se situe dans le hameau de Bonlieu rattaché à la commune de Marlioz, ce qui signifie que ce village possède deux châteaux (Marlioz près de l’église et Sallenove).


Au premier plan le château de Sallenove et en haut à gauche  le château de Marlioz

Le château sur son éperon rocheux avant 1922

Photo source Archives Départementales de la Haute-Savoie

Fonds Auguste et Ernest Pittier

(Côte 57 Fi 1707)



Lors de mes recherches, j’ai parcouru quelques pages des procès-verbaux des séances du Conseil Général de la Haute-Savoie pour l’année 1892. Dans le rapport de la séance du 27 août de cette même année, une réponse m’est apparue en page 319 :

le château porte tout simplement le nom de son ancien propriétaire.


Source Echos Saléviens n° 5 de 1995, page 4

Le château de Sallenove

Dessin tiré de la revue savoyarde

(source Histoire des Communes Savoyardes)

Archives Départementales de la Haute-Savoie

Mais pourquoi ce château porte-t-il le nom du village de Sallenôves ?

Cette question m’a souvent été posée sans que je puisse réellement trouver une explication.


Le village de Sallenôves a changé plusieurs fois de noms : Sellanova en 1225, Aula nova en 1235, Sala nove au 13ème siècle (source Lexigolos). Selon Wikipédia, l’ancien nom de la paroisse de la commune de Sallenôves était Chetonnay ou Cheptonnex (également Cheptonex). Le nom est modifié vers le milieu de XVIIIe siècle (entre 1701 et 1800) où les habitants choisissent de lui donner le nom de la famille de Sallenove. D’ailleurs dans le registre de l’église paroissiale de Sallenove de 1606 à 1746, il est également inscrit cheptonnex.


Source Archives Départementales de la Haute-Savoie

(côte E dépôt 257/GG1)


Il ressort néanmoins que dans des anciennes cartes du Duché de Savoie et notamment celle de 1688, le nom de Salnove (ainsi orthographié) apparaît.


Sur la mappe sarde de 1728-1738 il est pourtant bien précisé le village de Sallenoves.


Il est intéressant de noter que la révolution française transforma chaque paroisse en une commune avec des territoires et populations identiques (loi établissant les municipalités du 14 décembre 1789).


Les premiers membres de la famille Sallenove apparaissent vers 1160 lorsque Guillaume, chevalier de Sallenove, donne avec le consentement de ses fils Guillaume et Hugues (1195-1240) à l’église de Bonlieu tout ce qu’il possède depuis la grande route jusqu’au défilé des Usses.


Extrait de l’ouvrage L’histoire de la ville et du diocèse de Genève avant 1312 page 99

(Source books.google.fr)


L’abbaye de Bonlieu vers 1900

(Photo  du Comte Victor de Gaudemaris extraite de l’ouvrage Chartreuses de Dauphiné et de Savoie, page 133)



Les membres de la famille de Sallenove étaient des cadets de la lignée seigneuriale de Chaumont (source ouvrage Histoire des Communes Savoyardes page 360). Au 13ème siècle (1201 à 1300) ils sont d’ailleurs co-seigneurs du château de Chaumont et devinrent vers 1213 seigneurs de Viry avec Hugues de Sallenove (1195-1240).

Le 17 février 1239 Hugues de Sallenove qui a des enfants de deux mariages différents va léguer la seigneurie de Sallenove à son fils ainé Aimon (1224-1267) puis à son second fils Vuillierme (Guillaume 1226-1281) le mandement de Viry. Dès 1239, la branche aînée conserve le nom de Sallenove et la branche cadette prend celui de Viry. C’est d’ailleurs Vuillierme (Guillaume de Sallenove) qui va créer la seigneurie de Viry et devenir le premier seigneur de Viry (source Echos Saléviens n° 6 page 28).

 

Texte extrait du dictionnaire historique, littéraire et statistique des départements du Mont-Blanc et du Léman de 1807, page 441  (source book google)

Le 25 mai 1275, Aimon de Sallenove rend hommage au comte Aymon II de Genève.


L’homme-lige mentionné dans le texte est une forme particulière car il oblige le vassal à servir en priorité le seigneur ceci pour éviter qu’un homme puisse devenir le vassal de plusieurs seigneurs.



Extrait de l’ouvrage L’histoire de la ville et du diocèse de Genève avant 1312 page 271

(source book google)


Au moyen-âge, un vassal est un homme libre qui se met sous la protection au service d’un homme plus puissant appelé « seigneur » ou « suzerain ». Un homme devient vassal d’un autre par la cérémonie de l’hommage qui a lieu le plus souvent dans le château du seigneur. Le vassal reçoit un fief (une terre) en fonction de ses revenus (source Wikipédia).

Ici l’hommage est la cérémonie de l’entrée en vassalité

(source Wikipédia)


Exemple d’un sceau d’un vassal du 13ème siècle

 (archives nationales de Paris,source Larousse)


Dans le courant du mois de juin 1365, Charles IV du Luxembourg, qui s’est fait couronner roi d’Arles le 4 juin 1365, est accueilli au château. D’autres personnalités importantes seront  par la suite reçues dans le château.


Charles IV du Luxembourg lors de son couronnement

(photo source Wikipédia)



Photo source delcampe.fr

Photo extraite de l’ouvrage Société d’histoire et d’archéologie de Genève tome 7 de 1956 planche VII

(source Archives départementales de la Haute-Savoie 08.02.2011)

Guigue de Sallenove (mort entre 1446 et 1449 vassal d’Amédée VIII de Savoie) mais également Galéas, Antoine (mort en 1503 petit-fils de Guigue) et Alexandre (mort en 1546, fils naturel d’Antoine) vont améliorer le confort du château et l’aménager en résidence avec la construction d’un corps de logis.

(source Histoire des Communes Savoyardes page 360)


Plan extrait de l’ouvrage Mémoires et Documents publiés par la société d’histoire et d’archéologie de Genève, tome 7, par Louis Blondel page 195

(source Archives départementales de la Haute-Savoie 08.02.2011)

C’est ce même Alexandre de Sallenove (seigneur et baron de Sallenôve en 1519) qui arrêtera les troupes françaises de François 1er qui cherchaient à gagner Genève en les forçant à rebrousser chemin en 1536.

A noter qu’il est précisé dans le texte Alexandre de Viry, Baron de Sallenove.

Ouvrage Histoire de France tome 4 de 1866, page 7

(source bookgoogle.fr)


Source notice historico-topographique sur la Savoie par Jean Lullin en 1787 page 86 (source bookgoogle.fr)


Sur cette photo on distingue sur la partie droite une tour en ruine qui a dû être construite au 16ème siècle, soit entre 1501 et 1600.


A la mort d’Alexandre en 1546, son fils Charles est faible de corps et d’esprit.

Il n’a pas de descendance et le 1er mars 1563 il donnera le château à son cousin Pierre de Montluel, seigneur de Châteaufort. Ce dernier mourra en 1566 sans enfant. Sa veuve cèdera les seigneuries au duc de Savoie Emmanuel Philibert en 1579 qui les donnera en fief à Simon Marmier en 1584, seigneur de Moissy et Comte de Sallenove (source ouvrage Châteaux du Diocèse de Genève pages 193 et 194).




Duc de Savoie Emmanuel Philibert

(1528-1580)

(photo source Wikipédia)


Le château sera également le témoin de plusieurs faits de guerre après ceux relatés en 1519. Vers le 19 juin 1589, les députés de Berne se réunissent dans la grande salle avec le comte de Challant (délégué du duc de Savoie), à l’insu des Genevois, pour traiter avec eux. En 1602 le maréchal Charles de Gontaut, duc de Biron, rencontra les émissaires du duc de Savoie et du roi d’Espagne. Il se laissera aller à trahir le roi Henri IV.

(source Société d’Histoire et d’Archéologie de Genève, tome 7 page 194).


Il sera arrêté à Fontainebleau dans la nuit du 13 au 14 juin 1602, jugé le 17 juin pour haute trahison, et exécuté le 31 juillet 1602 à la Bastille (source Wikipédia).



Le maréchal Charles de Gontaut duc de Biron

(Photo source Wikipédia)


D’autres familles de la noblesse deviendront par la suite propriétaires sans toutefois habiter le château (Les Livron dès 1651, François de Malivert vers 1750).


A partir de septembre 1792, le duché de Savoie est plongé dans la période révolutionnaire. Il devient le département du Mont-Blanc (chef-lieu Chambéry). Le château sera transformé en ferme et occupé par divers cultivateurs. Avec l’occupation de Genève, la partie du nord du duché est détachée pour former le département du Léman de 1798 à 1813 (chef-lieu Genève). Le duché retrouvera ses princes avec la restauration en 1814 et 1815 (source Wikipédia).



Parcelle 2500 : bâtiment du château


Parcelle 2501 : remise, granges,  écurie et      bergerie

Parcelle 2502 : cour du château


Parcelle 2503 : jardin


Extrait de la mappe sarde 1728-1738

(source Archives Départementales de la Haute-Savoie, côte 1 C d 193)

Les propriétaires suivants seront Aimé-Vincent de Pingon en 1773, le comte Eugène de Benoist de la Prunarède (1784-1851) lors d’un partage le 17 avril 1829 puis à sa veuve la duchesse Adèle Quarré de Chelers (1808-1871) qui le transmettra à un membre de sa famille l’abbé Edouard Scott en 1851 (curé d’Aire-sur-la-Lys de 1829 à 1887).


En 1873, le château sera vendu aux enchères à Jean Daudens de Frangy qui cherchera néanmoins à le revendre à partir de 1889 mais qui finalement le transmettra à son fils Arthur.


Plan du château en 1907 (parcelles 1120-1121-1123)

Source archives Départementales de la Haute-Savoie, côte 3 P 3/5765 du 8 avril 1907)


Cour du château photographiée par Auguste et Ernest Pittier (entre 1899 et 1922)

(Source archives Départementales de la Haute-Savoie, côte 57 Fi647-440)



Intérieur du château en 1903

(source Internet cabaret-overblog.org)

Il sera acheté ensuite acheté par Monsieur Emile Schürch qui va le restaurer. Sa fille, Madame Edith Eardley-Schürch poursuivra les travaux en consolidant le mur d’enceinte et en refaisant les toitures. Il appartient toujours aux membres de cette famille.



J’ai retrouvé une légende dans cet ouvrage de 1875 (pages 86 et 87).

Il s’agit du cheval fantome de Sallenôves que je résume ci-après.


….et la légende me diriez-vous ?


Photos MT Buda 23 février 2018

 L’orage éclate, les deux Usses se gonflent et envahissent l’endroit où se tenait chevalier sur son cheval. Ils sont entraînés dans les flots qui se referment sur eux.




Le cheval étant à demi coupable, on lui permit de revenir sur l’eau et pour le dédommager du danger qu’il avait couru, on lui donna la retraite dans une pièce du château.

Dans une des pièces de ce château, l’une d’entre elle porte le nom de chambre du diable. Cette chambre a la particularité d’être murée. Seul un homme peut passer à travers l’étroite baie mais un cheval n’y passerait pas.


La légende veut que pendant que le vidame de Chaumont (personne qui mène l’armée et perçoit les redevances féodales d’une seigneurie) faisait la guerre en Terre-Sainte, le seigneur de Sallenôves avait tenté d’enlever son épouse qui se prénommait Berthe. Le chapelain du château (prêtre) fulmine du fond de son oratoire une excommunication contre le déloyal chevalier.

Il s’agit de confiner dans cet espace le cheval-fantôme qui hante le manoir. Il existe donc un cheval bardé de fer, la bouche écumante, la crinière hérissée.


Quand vient le soir, il piaffe d’impatience et fait résonner les dalles de la vieille tour des coups de ses sabots. Tous les alentours sont frappés de terreur quand ces hennissements dépassent le diapason ordinaire.

Construit sur un éperon rocheux situé à 400 mètres d’altitude à la fin du 11ème siècle, il surplombe le hameau de Bonlieu qui domine la vallée où coulent les petites et les grandes Usses. Il avait un rôle militaire et de défense et il surveillait les routes importantes (Seyssel et Annecy) souvent utilisées par les armées.

Les légendes sont-elles les témoins de l’histoire ?