LA DISPARITION TRAGIQUE EN 1944 DE L’ABBE

 JEAN SALLAZ


C’est au cours d’une visite à Chilly le 26 janvier 2016 qu’il m’a été confié cette photo de l’abbé Jean Sallaz et que des habitantes de cette commune m’ont raconté sommairement son histoire.



Jean Sallaz

(photo collection privée)


N’étant pas originaire de Haute-Savoie, j’ai été choquée d’apprendre par la suite que dans le diocèse d’Annecy plusieurs prêtres avaient été assassinés en 1944. Je ne souhaite porter aucun jugement sur cette période trouble de l’histoire de notre pays mais simplement relater des faits qui, malgré les années, n’ont pas disparu de la mémoire des habitants.


Jean-Joseph Félix Sallaz est né à Copponex le 16 mars 1899 et il est le 3ème enfant de François-Joseph Sallaz (né en 1862), cultivateur et de Mathilde née Suatton en 1870.


Acte de naissance de Jean-Joseph Félix Sallaz le 16 mars 1899

(source archives départementales de la Haute-Savoie, côte 4E 3781 )


La fratrie se compose comme suit : Sergius-François né en 1896, Marcelline-Amélie en 1897, Jean Joseph Félix en 1899, Hilaire en 1903, Mathilde en 1907 et Léa en 1910.


Recensement de 1901

(source archives départementales de la Haute-Savoie, côte 6M 192)

(carte postale source La Salévienne, collection C. Mégevand)

Comme tous les hommes nés en 1899 de la classe militaire 1919, il est incorporé dès le 16 avril 1918 à l’âge de 19 ans au 54 ème régiment d’artillerie de campagne en qualité de 2ème canonnier (défense sol-air).


Extrait et agrandissement de la fiche militaire de Jean Sallaz

(source archives départementales de la Haute-Savoie, côte 1R 844)

Ce régiment est notamment basé à Lyon au fort de la Vitriolerie.


A noter que depuis le 7 août 1913, la loi Barthou allonge le service militaire à 3 ans et le recensement des appelés s’effectue à 19 ans au lieu de 20 ans (source Wikipédia).


Photo source delcampe.fr

Le 23 août 1918 il intègre le 22ème Régiment d’artillerie de campagne toujours en qualité de 2ème canonnier. Il passe ensuite au 45ème régiment d’artillerie de campagne le 15 septembre 1919. Il lui sera accordé un certificat de bonne conduite. Il est libéré de ses obligations militaires le 23 mars 1921 et renvoyé dans ses foyers en attendant d’être affecté dans la réserve au 84ème régiment d’artillerie lourde à partir du 15 avril 1921.



En janvier 1923, il fréquente le collège de Thônes à la rue des Clefs. Les bâtiments restent propriété de la commune qui se charge de l’entretien mais le directeur (le Supérieur) est nommé par l’évêque. A cette époque le collège est dirigé par le chanoine François Pochat-Baron jusqu’en 1933.

Le collège de Thônes à la rue des Clefs avant 1933

Photo source delcampe.fr

Il semblerait également qu’il ait fréquenté le grand séminaire de Metz (Moselle) entre octobre 1923 et octobre 1924 avant d’intégrer celui de Meaux (Seine et Marne) où il est ordonné prêtre le 17 décembre 1927.


Il est ensuite incorporé au diocèse d’Annecy le 27 novembre 1930. Le 25 septembre 1931, il devient professeur au collège de Thônes puis dès le 3 novembre 1933 il est nommé économe et préfet de discipline (responsable pédagogique et assistant du Supérieur) dans ce même établissement. Le 29 septembre 1935 il est nommé curé dans la paroisse de Chilly (source ouvrage dictionnaire du clergé du diocèse de Genève-Annecy édité en 1963 bnf.gallica).


Le petit séminaire de Meaux en 1906

(photo source delcampe.fr)

Abbé Jean Sallaz

(photo non datée collection privée)

L’église de Chilly

(photos non datées collection privée)

Rappelé à l’activité par les militaires le 29 août 1939, il est réformé temporairement le 7 décembre 1939 pour emphysème et difficultés respiratoires puis pour les mêmes motifs le 29 avril 1940.


Agrandissement de la fiche militaire de Jean Sallaz

(source archives départementales de la Haute-Savoie, côte 1R 844)


Bref rappel du contexte historique entre 1940 et 1944


Après la signature de l’armistice le 22 juin 1940, le régime de Vichy est dirigé par le Maréchal Philippe Pétain entre le 10 juillet 1940 et le 20 août 1944. Il met en œuvre une politique de collaboration avec les nazis et instaure notamment des lois antisémites. Cette collaboration prend également diverses formes : coopération économique, arrestations de résistants, de francs-maçons et d’opposants politiques dont les communistes (source Wikipédia).

Il ressort que dès 1943, des prêtres et des laïcs aident en secret les réfractaires au STO (service du travail obligatoire). Ce service est instauré en France par la loi du 16 février 1943. Les personnes réquisitionnées dans le cadre du STO (les hommes nés en 1920-1921 et 1922) sont envoyées dans des camps de travailleurs en Allemagne afin de compenser le manque de main-d’œuvre dû à la mobilisation d’un grand nombre de soldats allemands sur le front de l’Est (source Wikipédia).

Exemple d’une affiche officielle de l’Etat français pour la réquisition de la main-d’œuvre dans le cadre du STO en février 1943

(source secondeguerre.net)

Selon les sources consultées, environ 600'000 à 650’000 travailleurs français (volontaires ou réquisitionnés par le STO) ont été transférés en Allemagne entre juin 1942 et juillet 1944 (source Wikipédia). Si l’on rajoute les soldats français prisonniers, le chiffre de 1'500'000 français est également avancé.


Un des membres de la famille de Jean Sallaz a bien voulu me confier la tragique histoire de l’abbé. En 1942, Jean Sallaz, parvient à faire construire un foyer social à Chilly en vue de créer une école ménagère et un dispensaire.

Les réfractaires au STO (principalement des jeunes) vont ainsi entrer dans la clandestinité pour échapper à leur triste sort. Ils vont être soutenus par la population ainsi que par la résistance surtout après la naissance des maquis dans le courant du printemps 1943.

Cette situation semble déplaire à certains puisque l’abbé reçoit à plusieurs reprises des menaces. D’ailleurs le maire de l’époque chercha à sauver l’abbé en l’avertissant la veille de son enlèvement.


Appartements

Dortoirs

Salles de cours

Cuisine

Emplacement du foyer social à Chilly, actuellement salle des fêtes

(photo MT Buda 4 mai 2019)

Le 23 juin 1944 vers 17h00, deux inconnus se présentent à la cure de Chilly. Ils commencent par interroger l’Abbé Jean Sallaz puis, sous menaces, l’obligent à ouvrir son bureau pour en vérifier le contenu en jetant tout sur le plancher dans la salle.


Il semblerait également que des sommes d’argent aient été dérobées et notamment des honoraires pour 172 messes et diverses sommes destinées à l’école libre de la commune

(source document Archives départementales de la Haute-Savoie, côte 15 W 22).


L’église et le presbytère à droite

(photo non datée collection privée)

L’école de Chilly

(photo non datée, source delcampe.net)

L’abbé est ensuite emmené vers 22h00 tandis que sa domestique, gardée à vue jusque-là, est enfermée dans sa chambre. Il est conduit au sommet de la montagne de Chaumont où il passe la journée du 24 juin 1944. Après lui avoir fait enlever sa soutane, ordre lui est donné de creuser sa tombe. Une première tombe est creusée mais il butte sur des rochers à 20 ou 30 centimètres de profondeur. C’est ainsi qu’il doit creuser une nouvelle tombe un peu plus bas, à la lisière du petit bois. Avant son assassinat, l’abbé écrit une lettre à ses paroissiens où il se déclare être une victime innocente. A noter que le texte « jugé sans brutalité » a été rajouté sans doute à la demande de ses meurtriers. Il est exécuté et enseveli immédiatement le 24 juin 1944 vers midi.


Avant son exécution, l’abbé écrit une lettre à ses paroissiens où il se déclare être une victime innocente. A noter que le texte « jugé sans brutalité » a été rajouté sans doute à la demande de ses meurtriers.


Document collection privée

(photo MT Buda 28 janvier 2016)


Il a aussi rédigé un billet à l’adresse de sa famille, ici retranscrit :

 « Je meurs en victime innocente.

Je vous ai tous bien aimés,

mais je vous aimerai plus encore de là-haut

où je ne vous oublierai pas ».


Au cours de l’année 1944, quatre autres prêtres du diocèse d’Annecy seront exécutés :



Une plaque commémorative apposée dans la maison diocésaine d’Annecy ne peut rendre les visiteurs insensibles de la triste réalité de cette obscure période de notre histoire.


Plaque commémorative

(source memorialgenweb.org M. Charbonnier 03.08.2009, licence CC BY-NC-SA2.0)


Hilaire, le frère de Jean Sallaz, va entreprendre des recherches suite à la disparition de l’abbé. Plus tard, le nouveau curé de Chilly sera averti que le corps de l’abbé a été enseveli dans les bois de Chaumont à un emplacement marqué par une croix de Lorraine. Le curé, après avoir longtemps cherché, découvrira une double branche en forme de V. Derrière l’une une croix latine. Et c’est ainsi qu’en novembre 1945, le corps de l’abbé sera retrouvé. Il sera exhumé, reconnu, mis en bière et inhumé à la même place dans les bois de Chaumont.


Ce n’est que le 25 octobre 1954 que le premier cercueil de l’abbé Jean Sallaz sera à nouveau exhumé, placé tel quel dans un nouveau cercueil, pour être enterré dans le petit cimetière de Chilly, le lendemain. La cérémonie officielle sera présidée par Monseigneur Auguste Cesbron, évêque d’Annecy de 1940 à 1962 (source dictionnaire du clergé du diocèse de Genève-Annecy).

Document collection privée

(photo MT Buda 28 janvier 2016)


L’abbé Jean Sallaz repose désormais dans la place d’honneur réservé aux prêtres dans le cimetière de Chilly. Il a voulu mourir pour sa paroisse et en vue de sa paroisse.


Tombe de l’abbé Jean Sallaz à Chilly


Photo du 29 octobre 2017

(collection privée)

Photo printemps 2018

(collection privée)

L’aumônier Raymond Favre (1913-1960) sera nommé curé de Chilly le 13 novembre 1944. Il terminera le foyer rural ménager débuté par l’abbé Jean Sallaz (source dictionnaire du clergé du diocèse de Genève-Annecy).


Une des dernières photos de l’abbé jean Sallaz (collection privée)