LE CHÂTEAU MEDIEVAL DE LA TOUR

Lorsque j’ai réalisé des recherches sur le château de Pelly à Desingy en février 2019, j’avais déjà repéré ce bâtiment et j’avais été frappée par cette tour.


 Photo MT Buda 16 février 2019


Peu de temps après je me suis aperçue qu’il s’agissait du château de la Tour qui était alors en vente. J’ai pu récupérer sur Internet quelques photos ainsi qu’un descriptif.


J’ai donc repris la lecture de l’excellent ouvrage rédigé en 1907 par Félix Fenouillet (1842-1924) sur la Monographie de Desingy. Il a été instituteur dans ce village entre 1886 et 1899.


Photos source Gallica/BNF


Dans l’intervalle, Isabelle qui suit de près mes publications, m’a indiqué que Félix Fenouillet avait été instituteur à Contamine-Sarzin vers 1860 mais également directeur (entre 1881 et 1899) de plusieurs écoles dont notamment celles de Seyssel et de Desingy.


Document source Echo du Vuache n° 10 de juillet 2019, page 13

(1 ) son épouse est Françoise Chamousset)

(1)

Source Archives départementales de la Haute-Savoie (côte 6 M 204 – Desingy 1891)



Félix Fenouillet qui était aussi propriétaire d’une maison à Contamine-Sarzin louera cette dernière à la commune en 1903 durant les travaux de réhabilitation de l’école du village (bail daté du  7 février 1903).

Ici à gauche le château de la Tour en 1907 tel qu’il est décrit par Félix Fenouillet en page 14 de la monographie de Desingy



Photos non datées du château (source delcampe.fr)



Extraits des pages 166 et 167 de la Revue Savoisienne du mois de juillet 1929 (source Gallica)



Il semblerait qu’il existait au 12ème siècle une famille seigneuriale à Desingy qui aurait fait construire le château de la Tour à proximité de l’église. Selon Félix Fenouillet, le premier membre de cette famille qui est cité est Robert de Desingy qui aurait vécu vers 1166. Malheureusement je n’ai rien retrouvé de tel par rapport à cette date.

Il subsiste cependant une sentence rendue le 12 mars 1247 par l’Official de Genève entre le Chapitre (les chanoines qui nommaient les curés) et Robert de Desingy pour avoir refusé de faire usage de vassal envers le Chapitre.


Robert de Desingy

Extrait de la page 68 de l’ouvrage source mémoires et documents publiés par la société d’histoire et d’archéologie de Genève, tome V de 1845 (source Internet e.book)



Il existe aussi un document sous le n° 822 figurant en page 206 du « Regestre Genevois » portant sur une transaction qui est intervenue le 26 juin 1250 entre le Chapitre et Robert de Desingy.


Extrait de la page 206 du Regeste genevois, ou Répertoire chronologique et analytique des documents

(source BNF Gallica)



Les fils de Robert Desingy sont également cités dans ce document. Il s’agit de Robert et Hugues qui deviendront vassaux du seigneur de Grésy.


Armorial et nobiliaire de l'ancien duché de Savoie, volume 3 page 153  (source BNF Gallica)


Le 6 avril 1293 apparaît Jean de Desingy notaire et clerc délégué de l’Official de Genève sur un autre document sous le n°1373 en page 343 du « Regestre Genevois ».


Extrait de la page 343 du Regeste genevois, ou Répertoire chronologique et analytique des documents

(source BNF Gallica)



Il semblerait ensuite que la famille de Desingy se soit éteinte.


Le château sera occupé dès le 17ème siècle par la famille de la Croix (source Félix Fenouillet page 85) et notamment par un certain Claude de la Croix, seigneur de Desingy selon un acte trouvé aux archives de Pelly daté de l’avant-dernier jour de février 1620.



Famille de la Croix

Sur l’extrait de la mappe sarde, le château de la Tour est édifié sur la parcelle en rouge à côté de la 4394.



Extrait de la mappe sarde de Desingy (1728-1738)

Source Archives Départementales de la Haute-Savoie, côte 1C d179


Maison Baytaz de Doucy


Vers le milieu du 17ème siècle, le château passe à la maison Baytaz de Doucy, anoblie par lettres de noblesse le 20 mars 1594, obtenues par Antoine Baytaz (source Mémoires et documents publiés par la Société savoisienne d'histoire et d'archéologie de 1907 page 86).

 Extrait de la page 142 de l’Armorial et nobiliaire de l'ancien duché de Savoie, volume 1 par le Cte E.-Amédée de Foras (source BNF-Gallica)


Extrait de la page 108 de l’ouvrage source mémoires et documents publiés par la société d’histoire et d’archéologie de Genève, tome LIV de 1913 (source BNF)



Par la suite, un certain Pierre Joseph Baytaz (1683-1757) épouse Jacqueline Denise de Regard en 1714. Ils auront 3 filles : Claudine Benoite, Péronne (1718-1744) et Anne Appolonie (1720- ?).


Acte de mariage de Claudine Benoite Baytaz avec François Gaspard Madelain (décédé en 1765) capitaine du régiment de Chablais le 7 juillet 1738. Il semblerait qu’ils n’auront aucune postérité.

(document source archives départementales de la Haute-Savoie, côte E dépôt 100/GG3)

A l’ouverture de la déclaration de testament de Claudine Benoîte daté du 27 août 1758, il est stipulé que son héritier universel sera son neveu Pierre-Clément Foncet de Montailleur. La famille Baytaz de Doucy sera éteinte avant 1820 (source Dictionnaire des noms de familles de Haute-Savoie, page 141).


Baron Jean Joseph Foncet de Montailleur



Armoirie des seigneurs de la Tour

Extrait de la page 404 de l’ouvrage Armorial et Nobiliaire de l’ancien Duché de Savoie, volume 2 (source BNF/Gallica)


Il est ici rappelé que les troupes révolutionnaires françaises sous le commandement du lieutenant-général de Montesquiou, envahissent le duché de Savoie, sans déclaration de guerre préalable, dans la nuit du 21 au 22 septembre 1792. Les troupes sardes se replient.


Le lieutenant général des armées Anne-Pierre de Montesquiou-Fézensac (1739-1798) ici en 1791

(source wikipédia)


J’ai retrouvé un article intéressant qui va lier à l’histoire le général Montesquiou au sénateur Pierre-Clément Foncet.

(document source Internet, maison de la Violette)


Le territoire de la Savoie est ainsi attaché à la France pour une durée de 23 ans (source Wikipédia). Cette période est marquée principalement par la confiscation des biens du clergé (dès octobre 1792), l’abolition des titres de noblesses et des privilèges ainsi que la vente des biens nationaux étalée sur 7 ans. Cette vente des biens nationaux va profiter aux bourgeois et notamment aux notaires (source Wikipédia).

Le 1er août 1780, Marie-Louise-Josephe fille du baron Jean Joseph Foncet de Montailleur épouse le comte Jean-Baptiste Carelli de Bassy. Marie-Louise Josephe a été particulièrement bien dotée par son père qui possède une importante fortune. Il semblerait donc que le château de la Tour soit devenu leur propriété.


Texte extrait de la page 280 de l’ouvrage La Savoie dans la révolution (source BNF Gallica)


Comte Joseph Regard de Vars


En 1808 le château est acheté par le comte Joseph Regard de Vars. Cette famille de Vars, alliée à la famille de Regard, posséda longtemps le domaine de Clermont. C’est l’évêque Regard le Gallois qui réunit au patrimoine de sa famille notamment les terres de Vars et de Desingy. C’est un de ses neveux qui héritera.


L’Evêque Claude Regard le Gallois

(1512-1582

(Photo source Wiklipèdia

Page 79 de l’ouvrage Histoire de Rumilly publié en 1869

(photo source Gallica-BNF)

Et c’est ainsi que deux puissantes familles vont cohabiter à Desingy : les seigneurs de Pelly (ancienne noblesse) et les Regard de Vars récemment anoblie.


Documents exposés dans le château de Clermont

(Photos MT Buda 24 mai 2012)

D’ailleurs, l’église de Desingy porte les marques de cette puissance par l’existence de deux chapelles funéraires : au croisillon sud celle de la famille des De Pelly et au croisillon nord celle de la famille des Regard de Vars.


  La chapelle  des De Pelly

(Photo MT Buda 27 février 2019

La chapelle des Regard de Vars

(Photo MT Buda 25 janvier 2020)

Cette chapelle des Regard de Vars comporte des figurines sculptées aux expressions curieuses qui reposent sur les bases des 4 voûtes.


Photos Louis Buda 17 janvier 2020

L’église sera transformée au cours des 18ème et 19ème siècles. En 1972, une pierre de l’autel gallo-romain encastrée dans la maçonnerie qui supportait l’autel primitif de l’église du 12ème siècle a été découverte. Elle a été déposée dans la chapelle de Vars.


Photo Louis Buda 17 janvier 2020)

Texte extrait du bulletin municipal n° 31 de décembre 2013

Le château de la Tour est ensuite vendu en 1868 au docteur Camille de Lavenay (1828-1901) qui sera également maire de Desingy de 1876 à 1901 mais aussi conseiller général de 1870 à 1895 (source Wikipédia).


Docteur Camille de Lavenay

Extrait de la page 2 du journal Le Temps du 1er janvier 1883 (source Gallica BNF)


Extrait de la page 3 du journal Gil Blas du 6 avril 1901

(source Gallica BNF)


Monsieur Dunand


La date de la vente du château à un certain M. Dunand de Metz près d’Annecy se situe autour de 1907. Après de longues recherches, il s’agit peut-être d’Auguste Dunand né le 5 septembre 1850 qui était le maire de Metz Tessy de 1900 à 1907. Il est mort durant son mandat le 2 mars 1907. Son fils Pétrus né en 1883 va lui succéder à ce poste de 1908 à 1911.


Extrait du recensement de 1906

(source Archives Départementales de la Haute-Savoie, côte 6M286)




Extrait du plan cadastral de Desingy du 1er mai 1909

Source Archives Départementales de la Haute-Savoie, côte 3 P 3/4156 feuille n° 15



Pierre Tissot né en 1852 qui est charron à Desingy acquiert ensuite le château qui sera occupé en 1926 par sa fille Joséphine qui s’est mariée en 1904 avec Jules Jacquier. Pierre Tissot sera également maire de Desingy entre 1901 et 1904.


Famille Tissot

Extrait du recensement de 1926 de Desingy

(source Archives départementales de la Haute-Savoie, côte 6 M 204)


Le château en 1934 (source delcampe.fr)


Leur fils Marcel Pierre Julien né en 1907 en héritera par la suite. Il revendra le château dans les années 1950 à Monsieur Perrin (fils Daniel) puis à Monsieur et Madame André et Claudia Bovet en 1970. Le château a été revendu en décembre 2019.


Le château en 1949

(Source delcampe.fr)

Le château le 16 février 2019

(Photo MT Buda)

Le château le 25 féàvrier 2020

(Photos MT Buda)

Ancien bâtiment désaffecté faisant partie intégrante du château

(photos MT Buda 25 janvier 2020)

Emplacement  des anciennes écuries dans les années 40

(Photo MT Buda 25 janvier 2020)

Le 24 mai 2020, j’ai eu la chance de pouvoir visiter l’intérieur de la tour et de rencontrer les nouveaux propriétaires des lieux que je tiens à remercier vivement pour leur accueil. Dans ce que j’appelle la partie historique du château un magnifique escalier en pierre permet d’accéder aux différents niveaux.


Photos collection privée mars 2020

IIci une coquille Saint Jacques sous l’escalier. Autrefois les coquillages étaient portés pour se protéger de la sorcellerie, du mauvais sort et des maladies. La coquille s’est imposée comme attribut de l’apôtre Saint Jacques et elle est le symbole des pèlerins. Elle leur permettait de se distinguer des autres voyageurs, de boire dans les fontaines et de demander l’aumône aux habitants (source site Internet www.via-compostela.com).

Sur le dernier niveau un colombier en très bon état abrite une famille de faucons. Posséder autrefois un colombier était un privilège réservé à la noblesse et aux abbayes.


Photos MT Buda 24 mai 2020

Photos Louis Buda

24 mai 2020

Dans la partie « habitation » et à l’étage quelques manteaux de cheminées (style Louis XV) ornés de fleurs de lys ont été conservés.


Photos MT Buda  24 mai 2020


Au rez-de-chaussée plusieurs meurtrières pratiquées dans l’épaisseur des murs permettaient d’avoir une vue plongeante sur l’extérieur. Les meurtrières sont caractéristiques de l’architecture militaire médiévale.


Meurtrières vues depuis l’întérieur du bâtiment

(Photos Louis Buda 24 mai 2020)

Meurtrière vue depuis l’extérieur du  bâtiment

(Photo MT Buda 24 mai 2020)


Au fil de la visite une pierre qui a été récemment dégagée n’a pas encore livré ses secrets

(photos MT Buda 24 mai 2020)


Tandis qu’ici une inscription « De Doussi » est gravée sur une paroi qui était recouverte de ciment. Cette inscription, si elle est authentique, pourrait se rapporter à la famille Baytaz de Doucy qui a possédé le château au 18ème siècle.


Une petite visite sur l’extérieur permet de découvrir une très belle fenêtre murée ornée d’un linteau en accolade.


Cette famille a été anoblie en 1771. Le baron Jean Joseph Foncet de Montailleur (1707-1783) est président du Sénat de Savoie et il épouse en 1739 Péronne (1718-1744) qui est l’une des 3 filles de Melchior Baytaz de Doucy (source page 35 de l’ouvrage la Savoie dans la Révolution de Paul Dufournet Gallica/BNF). A sa mort, le 3 septembre 1783, c’est son fils Pierre-Clément (né vers 1743 et mort à Genève en 1812) substitut et avocat général au sénat de Savoie qui hérite des titres baron de la Tour jusqu’à la révolution.


Cette famille va disparaître en 1851 sans postérité mâle.

(source page 484 du dictionnaire des noms de familles de Haute-Savoie)


Un charron