Avoir 22 ans

en 1914

Mon grand-père paternel,

Georges GIUBEGA,

n’a jamais parlé de la première guerre mondiale et tous les membres de notre famille ignoraient son passé militaire.


Dans les papiers personnels de mon père, j’ai retrouvé le livret militaire de mon grand-père. Grâce également aux recherches généalogiques réalisées par ma sœur, j’ai pu retracer la vie de mon grand-père.

Il n’a jamais eu de chance mon grand-père. D’abord il est né le 30 janvier 1892 à Bône en Algérie dans le département de Constantine. Considérée comme une province française, l’Algérie fut départementalisée le 9 décembre 1848.

A sa naissance, ses parents vivaient en Algérie. Son père François- Xavier (1856-1931) était conducteur de train.

Mon grand-père a néanmoins vécu une partie de son enfance à Cateri en Haute Corse (à 17km de l’aéroport de Calvi) d’où est originaire toute la famille. En 1891 le village comptait 456 habitants (en 2015 seulement 212).


(photo collection privée MT Buda)

Mon grand-père a néanmoins vécu une partie de son enfance à Cateri en Haute Corse (à 17km de l’aéroport de Calvi) d’où est originaire toute la famille. En 1891 le village comptait 456 habitants (en 2015 seulement 212).


Le village de Cateri en Haute-Corse

(photo 6 mars 2003 source Wikipédia)


Ancienne maison familiale

La maison de son enfance à Cateri et la petite chapelle

(photos de 1998 et 2014 collection privée)


Sa mère, Marie-Dominique Luigi, née le 5 octobre 1861, meurt à 36 ans le 26 mai 1897 à son domicile à Bône alors que Georges n’a que 5 ans.

Le 5 octobre 1912, à l’âge de 20 ans, il s’engage volontaire dans l’armée pour une période de 3 ans (le service militaire est à 21 ans). Il fait partie de la classe 1911 comme l’atteste son livret militaire.

Il s’avère que l’engagé volontaire est immatriculé sur la liste matricule de la classe appelée à l’activité dans l’année de son engagement : exemple engagement dans le courant de 1912, inscription sur la liste matricule de la classe 1911, appelée à l’activité en 1912.


(photo collection privée MT Buda)


Le 5 octobre 1912, il est ainsi affecté à Ajaccio au 7ème régiment d’artillerie à pied (RAP) sous le n° matricule 1962 en qualité de soldat.


(photo page 2 carnet militaire, collection privée MT Buda)

Soldats du 7ème régiment artillerie à pied en 1914

(Photo source delcampe.fr)

Soldats de la 39ème batterie  du 7ème régiment artillerie à pied à Nice en 1914

(Photo source delcampe.fr)

Comme le précise le document ci-dessous, il existera en Corse à partir du 1er mars 1910 un groupe de deux batteries du 7ème Régiment d’Artillerie à pied (document 1). A la suite de la réorganisation de l’artillerie il sera créée, à partir du 1er juillet 1914, « une fraction du 7ème régiment d’artillerie à pied » (document 2).


Page 177 de la revue de l’artillerie, tome 76 édité en 1910

(source gallica.bnf.fr)

Page 115 de la revue organisation de l’armée (source gallica.bnf.fr)

Une batterie seule comprend : 3 officiers, 171 hommes, 168 chevaux, 22 voitures dont 19 attelées à 6 chevaux et 3 attelées à 2 chevaux pour 4 canons de 75.

(source Internet chtimiste.com).


Les soldats incorporés dans l’artillerie ne sont pas en contact direct avec l’ennemi contrairement aux soldats de l’infanterie qui sont au cœur de l’action.


(Photo source delcampe.fr)


Elle a été construite au 18ème siècle entre 1782 et 1786 et elle sera détruite en 1970.

(Photo source delcampe.fr)


(Photo source Internet)


Grâce à son niveau d’instruction pour l’époque puisqu’il est titulaire d’un CEP (certificat d’études primaires), mon grand-père est admis au peloton des candidats sous-officiers le 1er février 1913.


(photos collection privée MT Buda)


Certificat d’études primaires obtenu le 8 juillet 1904 à Bône

Extraits des pages 6 et 7 du livret militaire

Mais il n’aura certainement pas le temps d’achever son instruction militaire qui devait durer 2 ans et il restera pour l’armée un soldat de 2ème classe.

De gauche à droite : exemples de soldats 1ère classe, d’un caporal et d’un soldat 2ème classe

(photo source Internet)


En effet, la mobilisation générale est décrétée le 1er août 1914 alors que son service militaire devait prendre fin le 5 octobre 1915. Il restera donc affecté au 7ème régiment d’artillerie à pied jusqu’au 31 juillet 1917. En 1914 l’armée dispose d’abord des conscrits de l’armée d’active, classes 1911-1912-1913 (hommes âgés de 21 à 23 ans) soit 750’000 hommes. Lors de la mobilisation près de 3,5 millions d’hommes seront appelés : l’armée de réserve (hommes de 24-33 ans), l’armée territoriale (hommes de 34 à 39 ans), la réserve de l’armée territoriale (hommes de 40 à 45 ans) et même les hommes âgés de 46 à 49 ans pour des services divers tels que garde, ravitaillement, nettoyage, etc. (source archives04.fr).


Mon grand-père fait donc partie de ces malheureux soldats, notamment ceux de la classe de 1911, qui resteront sous les drapeaux pendant 7 ans. Et c’est ainsi que près de 48'000 corses, dont beaucoup vont devancer l’appel, sont mobilisés (11'325 ne reviendront pas). Ils rejoignent leur caserne d’affectation par le chemin de fer.



Premier convoi pour le front depuis la gare de Corte en Haute-Corse en août 1914

(photo source Internet site cortideri.fr)

Le 15ème corps d’armée est formé dans le sud-est, son personnel venant de Marseille, de Corse et des Alpes (source Wikipédia).


Carte source Revue Armée et marine 14 août 1914


Sur cette carte, on voit que le 7ème régiment d’artillerie a, pour lieu de mobilisation, la ville de Nice.


Soldats du 7e régiment d’artillerie à pied à Nice

(photo source internet chtimiste.com)


C’est sans doute à la caserne Filley, au centre de la ville de Nice, qu’il se retrouvera regroupé avec les autres soldats de son régiment. Cette caserne a été construite en 1822 à la place Saint-Augustin sous le règne de Victor Emmanuel 1er de Savoie.




La caserne Filley à la place St-Augustin à Nice vers 1905

(photo source delcampe.fr)


Je ne dispose malheureusement pas assez d’éléments pour connaître l’itinéraire de son régiment durant la période du 1er août 1914 au 31 juillet 1917. En effet, il n’existe nulle part d’informations sérieuses sur ce régiment durant cette période et le Journal des Marches et Opérations n’est pas publié sur le site du Ministère des Armées. Je peux seulement me contenter de l’avant-propos du lieutenant-colonel SCHALK  figurant dans le Journal  des Marches et Opérations qui stipule que parti de Toul (1) aux premiers jours d’août 1914, le 7ème RAP combat à Nancy (2) en Lorraine ainsi que dans la région de Verdun (3).

Extrait du Journal de Marches et Opérations du 1er mars 1916 au 28 mars 1917

(source site Mémoire des Hommes)


Ici l’exemple d’un canon de 19 cm modèle 1870-93. Le groupe de canonniers-marins appartient au 1er groupe du 74 ème RALGP.

La photo est de 1918 à Villers-Côtterets dans l’Aisne

(photos et textes forum de la marine française)

Georges GIUBEGA sera muté dès le 1er août 1917 dans cette nouvelle artillerie sous le matricule 291. Je pense qu’il se retrouvera à l’intendance et qu’il sera employé aux écritures dans la gestion des stocks ou du ravitaillement. Les régiments d’artillerie lourde à grande puissance (RALGP) sont des unités servant les matériels sur voies ferrées. Ils sont équipés de canons, mortiers ou obusiers dont le diamètre est supérieur à 100 mm.


L’artillerie lourde sur voie ferrée (ALVF) a été utilisée côté français entre 1915 et 1918. Ces canons de fort tonnage étaient tractés par des machines type 140 (locomotives à vapeur) spécialement étudiées pour cette tâche (source Wikipédia).


Document source Gallica.bnf.fr


Texte extrait de la page 4


Le 18 octobre 1917, le front se déplace dans la région du Chemin des Dames entre Soissons (1) et Reims (2). Le 21 mars 1918 la plus grande partie des batteries est concentrée au sud d’Arras (3). Puis les batteries opèrent dans la région d’Amiens (4). Le 27 mai 1918 le régiment intervient à Soissons (1) qui malheureusement se solde par un mouvement de repli.

Le 11 novembre 1918 verra enfin la signature de l’armistice.


Extrait de la page 67 du Journal des Marches et Opérations du 74ème régiment ALGP

(source site Mémoire des Hommes)


Le régiment se trouve en stationnement dès le mois de décembre 1918 dans le camp de Mailly à Sommesous créé en 1902 dans la Marne, au sud de Reims, dans le département de l’Aube.


(photos source Delcampe.fr)

Extrait de la page 12 de l’ouvrage « histoire du 74e régiment d’ALGP »

(source gallica.bnf.fr)


L’unité est dissoute le 31 juillet 1919 au profit de la 152e R.A.P (régiment artillerie à pied). Cet élément figure bien sur le carnet militaire de Georges à la date du 1er août 1919. Il est enfin démobilisé le 20 août 1919. Il a alors 27 ans.


Après sa démobilisation, il occupe un poste en qualité de chef de rayons auprès du service de la liquidation des stocks américains au camp de Miramas dans les Bouches du Rhône durant la période du 7 novembre 1919 au 22 février 1922.

Le camp de Miramas où se trouvait le stock de matériel américain gardé par des gendarmes

(Photos source delcampe.fr)

Le 25 juin 1918, il épouse à Marseille Marie-Jeanne Laurenti et son premier fils François-Xavier nait le 21 septembre 1919 également à Marseille. Son épouse décède le 1er novembre 1925. Georges épouse en secondes noces ma grand-mère Germaine Joséphine Amélie Payan le 24 octobre 1927. Un second fils, mon père, Charles Georges Jean, naît le 27 février 1929 à Marseille.


Du 12 juin 1922 au 28 février 1930, il intègre la société La Phocéenne Automobile à Marseille où il occupe un poste de caissier comptable.


Photos collection privée MT Buda

Exemple d’une locomotive blindée dans la Somme servant au transport de l’artillerie lourde à grande puissance (photo source picclick.fr presse-Branger 180715)

Exemple d’un casque Adrian de l’artillerie : grenade brochant sur deux canons croisés (photo source Internet world-war-helmets.com)


Début Juillet 1918 les batteries sont réparties sur le front de Villers-Cotterets (5) à Châlons sur Marne (6) et elles subissent l’attaque du 15 juillet.

En septembre 1918 toutes les batteries sont engagées sur le front occidental. En octobre 1918 la participation des batteries à la poursuite de l’ennemi en retraite est de plus en plus réduite en raison de l’état des voies ferrées limitant les possibilités d’intervention.


Carte www.medailles1914-1918.fr


A cette époque il habite au 38 rue Bravet, un petit immeuble dans le 5ème arrondissement de Marseille. Il quitte cette société suite à la liquidation judiciaire de l’entreprise.


Immeuble au 38 rue Bravet à Marseille

(photo source google map)


Entre mars 1930 et décembre 1933, il est  comptable dans la société des Grands Travaux de Marseille GTM (entreprise du bâtiment et travaux publics) puis à la SGTM (Société Générale de Transport Maritime) jusqu’en juin 1935.


Photos source delcampe.fr

En février 1937 il s’établit à Toulon au 48 Bd Louis Picon au 1er étage où il demeurera jusqu’en 1963.


Georges GIUBEGA en 1934

(Photo collection MT Buda)


Maison au Bd Louis Picon anciennement au n° 48

(photo de 2008 source Google map)


A partir du 6 février 1936 jusqu’au 1er février 1952 (date de sa retraite) il est employé aux écritures auprès du service des subsistances de la marine nationale à Toulon.


Arsenal de Toulon en 1939

(photo source Delcampe.fr)


Ce grand-père que j’ai à peine connu était un homme bon, droit, fier et introverti qui a fait le choix, afin de se préserver, de détacher son passé de sa mémoire.


Il m’accompagnait souvent à l’école maternelle et le jeudi après-midi, nous nous promenions en silence le long de la rivière Le Las au chemin des Routes dans le quartier de Toulon où habitaient mes parents dans les années 50.


(photos source delcampe.fr)


Souvenir de mon grand-père.

C’est en 1960 et il me porte pour que j’apparaisse à ses côtés sur

la photo.


Il nous a quittés le 18 mars 1969 en emportant avec lui tous ses secrets de jeunesse gâchés par cette maudite guerre.

Personne n’est sorti indemne de ce conflit, même les soldats qui sont revenus du front.


Je cherche en vain le repos qui me fuit

Mon cœur est plein des douleurs de la France

Jusqu’en ces lieux déserts, dans l’ombre et le silence,

De la patrie en deuil le malheur me poursuit.


Alfred de Musset


En 1964

(Photo collection privée MT Buda)

Le seul élément disponible est que l’artillerie à pied a été réorganisée le 1er mars 1916 suite à une crise majeure dans l’armée française due à l’échec de l’offensive de Champagne.

En août 1917 est créé le 74ème ALGP (artillerie lourde à grande puissance). Il provient de l’artillerie de marine et du 6ème groupe d’AP (artillerie à pied) d’Afrique. Formé en 6 groupes de chacun deux batteries, le régiment sera commandé par le lieutenant-colonel CHARET.



En 1914, la répartition des batteries actives du 7ème régiment d’artillerie à pied est la suivante :

Ajaccio : 2ème batterie

Bonifacio : 1ère batterie

Nice : 3-4-5ème batteries


A ma connaissance la seule caserne qui abritait à Ajaccio l’artillerie, c’était la caserne Abbatucci située à proximité du grand séminaire et de la préfecture.


En feuilletant cet ouvrage historique édité en 1921, il est possible de retracer à partir du 1er août 1917 l’avancée du 74ème régiment d’ALGP commandé par le lieutenant-colonel Charet. Il me manque cependant des éléments importants et notamment les coordonnées de son groupe (il en existe 6) ainsi que sa batterie dans ce régiment pour étayer scrupuleusement le récit.



(Photo collection MT Buda)