LES BAINS DE SOUFRE DE LA CAILLE

Texte extrait de la page 65 de l’ouvrage La caille son établissement thermal de Paul Collet édité en 1853

(Gallica-BNF)


J’ai vécu entre 1963 et 1976 à Divonne-les-Bains, village thermal situé dans l’Ain. C’est peut-être à cette époque qu’a débuté mon attrait pour les bains. Toujours est-il que je ne manque jamais chaque année durant le printemps de me rendre dans des centres thermaux situés en France, Hongrie ou Espagne pour bénéficier de la détente qui m’est nécessaire procurée par les bienfaits de l’eau.


Bien avant mon arrivée à Contamine-Sarzin, j’avais déjà entendu parler des bains de soufre de la Caille mais je n’avais jamais eu l’occasion de me rendre sur les lieux dont le site est abandonné depuis 1960. Les bâtiments et notamment ce qu’il en reste sont donc en ruines.


Lithographie des bains par Müller (collection Archives d’Aix les Bains)


Texte extrait de la page 263 de l’ouvrage Œuvres historiques de M. l’abbé Gonthier, tome 2 édité en en 1902

(source Gallica-BNF)


Lithographie du 19ème siècle du pont suspendu et des bains

(source Archives Départementales de la Haute-Savoie,

côte 8 Fi147)



Les bienfaits des eaux sulfureuses datent de l’antiquité et aident à combattre notamment les douleurs musculaires ainsi que les rhumatismes dont je suis malheureusement affligée depuis plusieurs décennies.


Publicité extraite de la page 221 de l’Annuaire administratif et statistique du département de la Haute-Savoie édité en 1869 (source Gallica-BNF)


Les eaux de la Caille sous le pont

(dessin extrait de la page 337 de l’ouvrage Le magasin pittoresque édité le 1er novembre 1859 (source Gallica-BNF)


Les eaux de la Caille, alimentées par deux sources sulfureuses au fond de la vallée des Usses, dont une appelée fontaine de Cherpier, étaient sans doute connues des romains (source Wikipédia).

Le Duc Louis de Savoie (1413-1465)

Photo source wikipédia

Les bains purent ainsi être exploités jusqu’en 1475 puis, pour une raison inexpliquée, cessent d’exister jusqu’en 1784 date à laquelle Benoit Bonvoisin (1739-1812), professeur de chimie pharmaceutique à l’université de Turin, réalisa une visite scientifique.

Quelques années plus tard, en 1791, sur les ordres de l’Intendant d’Annecy, les docteurs Charles-Humbert Antoine Despine (1777-1852) et son fils Constant-Claude-Joseph Despine (1807-1873) vont à leur tour s’intéresser aux eaux de la Caille. Ce dernier succèdera à son père à la tête des thermes royaux d’Aix les Bains en 1849 jusqu’en 1853 (source Wikipédia).


Docteur Despine Constant Claude Joseph (1807-1873)

Photo source Gallica-BNF


Le 14 septembre 1799 un naturaliste géologue Jean-François Albanis Beaumont (1753-1811) ingénieur et géographe savoyard visite les lieux accompagné d’hommes de sciences (tous membres de la société des arts et des sciences de Genève créée en 1776) qui en concluent à une eau de «sulfure alcalin, sélénite, sel marin, carbonate de chaux, terre siliceuse et fer».


Siège de la Société des Arts et des sciences à Genève avant 1891 (Palais de l’Athénée) inauguré en 1864.

En 1776 la société est domiciliée rue de la Cité, puis rue Calvin entre 1851 et 1863 et dès 1864 au Palais de l’Athénée.

Source bibliothèque de Genève (BGE)


En avril 1801, une commission est constituée pour constater la valeur thérapeutique de ces eaux. En 1825 un certain Michel Baussant de Copponex fit construire des baraques en bois qui s’avérèrent rapidement insuffisantes par rapport aux personnes qui affluaient et en 1827 une première construction en maçonnerie sera érigée sur le versant de Cruseilles.



Texte extrait de la page 263 de l’ouvrage Œuvres historiques de M. l’abbé Gonthier, tome 2, édité en 1902

(source Gallica-BNF)


Les baraques en bois

Lithographie des bains de la Caille datée du 7 juillet 1838 par Joseph-François Burdallet

(1781-1851)

Source site de la Bibliothèque de Genève (BGE)


Estampe du pont et des bains publiée par Pilet & Cougnard, imprimeurs

(source Bibliothèque de Genève)


A mes yeux, il est impossible de dissocier les bains de la Caille du fameux pont de la Caille (pont Charles-Albert) inauguré le 11 juillet 1839. Ce pont mesure 192 mètres de long et surplombe le torrent à 147 mètres. Il est suspendu par deux groupes de 12 câbles appuyés sur 4 tours crénelées. Le tablier est en madriers de bois (source wikipédia).


Photos du pont en 1903 et 1907 ainsi qu’un dessin du prince Charles Albert en 1848

(sources delcampe.fr et bibliothèque d’Annecy)


Sur cette première photo de 1903, on remarquera la présence de douaniers. Il est ici important de rappeler que depuis 1860 il existe en Haute-Savoie ce que l’on appelle la grande zone franche qui est délimitée dans notre secteur par le tracé des Usses : les communes situées sur la rive gauche des Usses sont intégrées dans la zone (exemples Frangy, Marlioz, Cruseilles) tandis que celles sur la rive droite des Usses en sont exclues et assujetties aux droits de douanes (exemples Seyssel, Allonzier, Groisy). Donc comme le démontre cette carte il existe bien un poste de douane à l’entrée du pont de la Caille côté Allonzier.


Extrait de la carte de la zone de franche de Haute-Savoie éditée en 1925 et la guérite des douaniers vers 1908 (sources Gallica-BNF et delcampe.fr)


Dès 1860, non seulement les douaniers ont pour mission de contrôler l’identité des personnes et des marchandises mais également de réglementer la diffusion de journaux dont certains étaient interdits.


Textes extraits des pages 23 et 28 de l’ouvrage En Haute-Savoie au tournant de l’autre siècle de Pierre Soudan édité en 1996 (source Gallica-BNF)



Document source site GE200.ch)


Photos MT Buda 1er décembre 2022

A l’origine, le pont était payant comme l’atteste ce document publié dans l’ouvrage « Beaumont, Haute-Savoie 1814-1914 » édité en 1900 (source Gallica-BNF)



La construction de ce pont hors norme pour l’époque va apporter une certaine notoriété à Allonzier la Caille mais aussi améliorer le temps de trajet entre Annecy et Genève (de 7h00 à 5h00). La publicité des bains va s’étendre notamment jusqu’à Genève dans la presse locale.


Publicité parue en page 4 dans le Journal de Genève le 2 juin 1843

(source le temps des archives bibliothèque de Genève BGE)

En 1847 une première restauration des bains intervient grâce au chanoine Paul-Bernard Croset-Mouchet (1796-1866) d’Annecy le Vieux qui apporta les capitaux nécessaires.

Texte extrait de la page 656 de l’ouvrage La Savoie Industrielle édité en 1875 (source Gallica-BNF)


Portrait du chanoine Paul-Bernard Croset-Mouchet en 1853

(source Bibliothèque numérique de Chambéry, côte EST C 000.107)

Une maison à deux étages appelée le Château comportant 12 cabines de bains au rez-de-chaussée et 8 chambres à l’étage sera également construite à partir de 1847. Les travaux s’achèveront en 1852.


Dessin du pont publié dans l’ouvrage Le magasin Pittoresque édité le 1er janvier 1891 page 141

(source Gallica-BNF)


Diligence au départ de Genève pour Chamonix en 1886 (source bibliothèque nationale suisse)

Les bains de la Caille selon une lithographie de Müller publiée en 1853 extraite de l’ouvrage La Caille son établissement thermal son pont et ses environs de Paul Collet (source Gallica-BNF)


Texte extrait des pages 25 et 26 de l’ouvrage La Caille son établissement thermal son pont et ses environs de Paul Collet édité en 1853 (source Gallica-BNF)


Inscription en latin sur le bâtiment des anciens bains en l’honneur des fondateurs, Michel Baussand en 1825 et du chanoine Paul Bernard Croset-Mouchet en 1847

(photo MT Buda 15 février 2023)

Vue d’ensemble des bains de la Caille selon une lithographie de Ledoux extraite de l’ouvrage La Caille son établissement thermal son pont et ses environs de Paul Collet publié en 1853 (source Gallica-BNF)


Texte extrait de la page 264 de l’ouvrage Œuvres historiques de M. l’abbé Gonthier, tome 2, édité en 1902 (source Gallica-BNF)


Les bains de la Caille selon une lithographie de Ledoux extraite de l’ouvrage La Caille son établissement thermal son pont et ses environs de Paul Collet publié en 1853

(source Gallica-BNF)


Restaurant

Les Galeries

Les Bosquets

Casino

J’ai retrouvé une description extrêmement détaillée des bâtiments dans l’ouvrage de Paul Collet (La Caille son établissement thermal son pont et ses environs) édité en 1853 qui est résumée ci-dessous.


Texte extrait de la page 656 de l’ouvrage La Savoie Industrielle édité en 1875

(source Gallica-BNF)


Le chanoine fit construire une route carrossable reliant les bains au pont suspendu. L’inauguration eut lieu le 23 mai 1852. A partir de la création de cette route la clientèle genevoise va affluer.

Texte extrait de la page 23 de l’ouvrage La Caille son établissement thermal son pont et ses environs de Paul Collet publié en 1853 (source Gallica-BNF)



Deux lithographies publiées en 1853 intitulées Le chemin des bains par Müller et les bains par Ledoux

Documents extraits de l’ ouvrage La Caille son établissement thermal son pont et ses environs de Paul Collet

(source Gallica-BNF)




Inscription à l’entrée des bains : « béni soit Dieu qui fit jaillir les sources. A côté des maux, il mit le remède »(photo MT Buda 15 février 2023)

Publicité extraite de la page 202 de l’Annuaire administratif et statistique du département de la Haute-Savoie édité en 1869 (source Gallica-BNF)


Ancien pont en pierre de la route royale qui existe toujours. On aperçoit à l’arrière-plan à droite le bâtiment des bains (photo datée de 1909 source delcampe et MT Buda 15 février 2023)


Par la suite, en 1857, Monsieur Charles Louis Secrétan (docteur à Genève) succéda au chanoine. Il fera réaliser quelques aménagements et il ajoutera une piscine supplémentaire.



Texte extrait de la page 170 de l’ouvrage Œuvres historiques de l’abbé Gonthier, tome 2, édité en 1939

(source Gallica-BNF)


Texte extrait de la page 658 de l’ouvrage La Savoie Industrielle édité en 1875

(source Gallica-BNF)


Texte extrait de la page 265 de l’ouvrage Œuvres historiques de M. l’abbé Gonthier, tome 2, édité en 1902

(source Gallica-BNF)


Remarques sur l’expression Anno DNI MDLVIII

anno Domini Nostri Iesu Christi signifie en l’année de notre Seigneur Jésus-Christ 1558. Après de vaines recherches j’ignore à quoi peut bien correspondre la date de 1558. Il se peut aussi qu’une partie des chiffres romains manquent (CCC) et qu’en fait la date de 1858 soit inscrite.


Après le décès de M. Louis Secrétan vers 1883 c’est sa veuve, Madame Rose Falconnet, qui reprend l’exploitation des bains mais qui déléguera la gestion à une société lyonnaise qui semble être la Société des Thermes de la Caille. Une nouvelle route carrossable sera créée. A noter que c’est dans ce dernier article que l’on trouve la mention « casino » qui semblerait donc exister depuis 1884.



Article extrait de la page 2 du journal l’Indicateur de la Savoie du 26 avril 1884

(source Lectura Plus)


Article extrait de la page 2 du journal l’Indicateur de la Savoie du 3 avril 1886

(source Lectura Plus)


Hélas, une partie de la maison de la cure ayant été construite à cheval sur les deux rives des Usses sera emportée dans la nuit du 3 et 4 octobre 1888 par le torrent en crue.


Article extrait de la page 2 du journal l’Indicateur de la Savoie du 6 octobre 1888

(source Lectura Plus)


Article extrait de la page 2 du journal l’Indicateur de la Savoie du 2 août 1890

(source Lectura Plus)



Les bains vers 1900

En 1899, c’est M. Chartrier, originaire de Neuilly-sur-Seine, qui va racheter les bains.


Texte extrait de la page 265 de l’ouvrage Œuvres historiques de M. l’abbé Gonthier, tome 2, édité en 1902

(source Gallica-BNF)



Les bains vers 1899

(source Archives départementales de la Haute-Savoie

côte 57 Fi 307-210)


A partir de 1906, les curistes arrivent en diligence ou en voiture publique. Grâce à la motorisation, un service public de transport de voyageurs et de marchandise va se mettre en place dès 1906 par la création d’une société anonyme de Transport Automobiles Genève-Annecy. Cette société cessera son activité en mai 1918. Elle sera reprise par la Société des Alpes Françaises dont le siège est à Annecy.


Photos extraites des pages 170 et 140, texte des pages 165 et 166 de l’ouvrage Beaumont Haute-Savoie 1814-1940 édité en 1990 (source Gallica-BNF)


Texte extrait de la page 47 de l’ouvrage Géographie du département de la Haute-Savoie édité en 1907 (source Gallica-BNF)


Les bains vers 1907

Les bains vers 1907

Le bâtiment des bains après 1914 (source Delcampe) et les ruines de ce même bâtiment Les Galeries photographiées le 15 février 2023 (MT Buda)



Mais c’est à partir de 1923 que l’exploitation des bains retrouvera une certaine activité grâce à l’acquisition des lieux par Charles et Julia Mantilleri. Charles Mantilleri est artiste peintre et restaurateur d’art (1881-1933) et son épouse Julia est pianiste (1889-1952). Ils vont moderniser les bains en installant notamment une centrale électrique.


Carton publicitaire édité par Charles et Julia Mantilleri (photo source delcampe.fr)


Les restes du local électrique situé au 1er étage des anciens bains

(photo datée de 2009, source Wikimedia Commons)

Ce beau bâtiment a abrité le casino des bains

(photo non datée source delcampe.fr)

Les bains vers 1929 puis les mêmes bâtiments (Les Bosquets) non datés désaffectés

(photos source delcampe.fr)


Comme peut le démontrer cette photo la clientèle des bains est aussi familiale.


Photo non datée, période située dans les années 1930

(source delcampe.fr)



Des curistes posent devant un tableau de Charles Mantilleri. Document photographique figurant sur le panneau informatif du pont de la Caille

(photo MT Buda 1er décembre 2022)


Malheureusement Charles Mantilleri va mourir le 6 janvier 1933 dans un accident de voiture.


Avis paru le 9 janvier 1933 journal Le Petit Dauphinois

(source internet lectura.plus)


Julia Mantilleri (1889-1952) tentera de continuer d’exploiter les bains mais en vain, elle décidera de les vendre en 1937. Mais en raison de l’approche de la guerre aucune vente ne sera réalisée et l’activité cessera pendant cette période jusqu’en 1944.

Article publicitaire paru dans le Journal l’Ouest-Eclair le 10 mai 1934 (source Gallica-BNF)


Un certain Robert Faivre de Besançon dans le Doubs se portera acquéreur pour installer un élevage de faisans (source site Internet beaumont 74.fr) jusqu’en 1947.


L’hôtel thermal en 1945

(photo source delcampe.net)


Le site est revendu en 1947 à la société civile immobilière des foyers de paralysés, dirigée par l’abbé Pernet, dont le siège est à Remonot dans le Doubs. Des installations seront rénovées avec le concours de bénévoles. Le bâtiment du restaurant deviendra le foyer des infirmes.


Les bains vers 1949 et 1952 (photos source delcampe.fr)


Mais en 1960 l’exploitation des bains s’arrête de manière définitive.

Vues aériennes des bains en 1960 et 1963

(photos source delcampe.fr)

Photo peut-être des années 1950 (source delcampe.fr)

Le site sera vendu à l’association générale des infirmes, puis en 1966 à Monsieur Marius Ailloud (1911-1978), propriétaire de l’usine d’équarrissage. Une grande partie des bâtiments sera rasée pour des raisons de sécurité et le site tombera peu à peu en ruines.


Le bâtiment abandonné du casino en 1985 puis très dégradé en 1991

(photos source delcampe.fr)


Les eaux de la Caille sous le pont

Dessins extraits de l’ouvrage Le magasin Pittoresque page 337 édité le 1er novembre 1859 et de la page 269 de la Revue Savoisienne de 1897 (source Gallica-BNF)

Cascade des bains de la Caille

(photo non datée source delcampe.fr)

Ici à gauche de l’entrée du chemin d’accès aux bains cette source jaillit de la montagne dite « du Châtelard » et l’on aperçoit un peu plus loin sur la partie droite cette petite cascade qui se jette dans les Usses. Sur cette dernière photo prise à proximité du bâtiment Les Galeries la cascade est à sec en ce mois de février mais l’odeur de soufre est très caractéristique (photos Louis Buda 15 février 2023).


Le 2 mai 1447, un bourgeois de Genève Jean Tournier obtient du Duc Louis de Savoie de remettre les sources en exploitation. Deux mois plus tard, un pâtissier également de Genève nommé Jean Brulequin est autorisé à construire un hôtel avec écurie et jardin.


Ancienne route des bains de nos jours

(photos MT Buda 15 février 2023)


1909

2023

La piscine intérieure est actuellement très dégradée quelques dessins subsistent encore sur le sol.

(MT Buda 15 février 2023)


La piscine extérieure (photo MT Buda 15 février 2023)

Ci-dessus le casino avec sa magnifique coupole photographié en 1945 (source delcampe.)

Ce qu’il reste de l’unique bâtiment des Galeries et de la passerelle d’accès qui s’incline peu à peu et qui va s’affaisser

(photos MT Buda 15 février 2023)


L’escalier d’accès au 1er étage qui est particulièrement périlleux et dont les barrières sont bien vermoulues

(photos Louis et MT Buda 15 février 2023)


L’intérieur de la salle du 1er étage

(photos MT Buda 15 février 2023)


Un champ de ruines tout autour de cet ultime bâtiment qui lutte désespérément dans cet environnement devenu sinistre. Il devient alors difficile d’imaginer ce que ce site, aujourd’hui dévasté, était autrefois. C’est un bien triste décor ce lieu abandonné qui a accueilli par le passé des centaines de curistes qui s’émerveillaient de ce cadre bucolique.



Seule la source d’eau sulfureuse résistera au temps.

1960

1963